Nouvelles Cartographies - 2020

Nouvelles Cartographies – 23.03.20 / 16.09.20

Lettres du Tout-Monde

“Papi fin”, pellicule à développer

10 avril 2020

© JULIEN PITINOME

CHRONIQUES FAMILIALES

« PAPI, FIN » , pellicule à développer

par Julien Pitinome

La mort de Manu Dibango, il y a une semaine, m’a renvoyée au douloureux souvenir des derniers moments de vie de mon grand père. 

Nous sommes le 1er avril 2019, ce jour où les blagues sont les bienvenues … 

Un coup de fil de ma maman pour m’annoncer qu’il était parti. Non ce n’est pas une blague mais un dernier soupir qui venait marquer une fin, un passage, une traversée. Mon grand-père portugais nonagénaire venait de nous quitter après plusieurs mois de fatigue et des semaines d’hospitalisation. Le poids des années, de la clope à neuf ans, de l’exil, du travail à la mine, puis à la Lainière de Roubaix, ont marqué la longue vie de labeur d’Antonio, mon grand-père, papi, Bisavõ. Il laisse un grand vide dans nos familles et dans notre quotidien.

Ses dernières années, il les a vécues avec Maria, ma mère, sa fille. Une chance inouïe pour nous mais aussi pour Seney, mon fils, son arrière petit-fils. Quatre-vingt-sept ans les séparent l’un de l’autre et pourtant ils étaient complices. Comme si vieillir te rendait plus jeune. Ces derniers jours à l’hôpital n’ont pas été faciles. La douleur envahissait son corps dans son entièreté. Le moral aussi. Quelques jours avant de nous quitter, il fallait que Seney lui dise au revoir. Pas simple à faire comprendre à un gamin de quatre ans. Bisavõ dort, se réveille, se penche un peu et prononce un de ces derniers mots : Seney. Sa voix tremblait, mais l’intonation traduisait un plaisir de le voir. 

Recouché, quelques secondes plus tard, des larmes coulaient sur son visage, sur nos visages. J’ai immortalisé ces derniers instants en photo. J’avais besoin de le faire sans savoir quoi en faire. Un boîtier moyen format à la main, une pellicule noir et blanc. Je prends ces quelques clichés qui, je le sais, seront les derniers pour figer nos souvenirs. Ici, près de quinze pellicules à développer. Dans ces quinze, il y en a une que je dois développer depuis ce fameux jour de blague qui n’en était pas un. Cette pellicule où sont figés ces derniers instants de vie de mon grand-père. J’ai peur, j’accumule, je traîne… Il serait peut-être temps de révéler ces derniers instants en sels d’argent… 

ENGLIS VERSION - "GRANDPA, END"

« Papi, fin » film to develop.

Tourcoing, April 1, 2020

© julien Pitinome – collective Oeil

Manu Dibango’s passing a week ago brought back painful memories of the last moments of my grandfather’s life. 

It’s April 1, 2019, that day when jokes are welcome… 

A phone call from my mom to tell me he’s gone. No, it’s not a joke, but a last breath that marks an ending, a passage, a crossing.  My nonagenarian Portuguese grandfather had just left us after several months of fatigue and weeks of hospitalization. 

The weight of years, of cigarettes from the age of 9, of exile, of work in the mine and then at the Woollen Mill in Roubaix, marked the long life of labor of Antonio, my grandfather, grandpa, Bisavõ.  He leaves a great void in our families and in our daily lives. 

He spent his last years with Maria, my mother, his daughter. 

An incredible chance for us but also for Seney, my son, his great grandson. 87 years set them apart and yet they bonded. As if getting older makes you younger. 

Those last few days at the hospital weren’t easy. The pain flooded his entire body. Morale too.  A few days before him leaving us, Seney had to say goodbye. 

It’s not easy to make a four-year-old understand.  Bisavõ sleeps, wakes up, bends over a little and says one of his last words: Seney. His voice was trembling, but the intonation showed a pleasure to see him. Lying down again, a few seconds later, tears ran down his face, on our faces. I immortalized these last moments in photographs. I needed to do it without knowing what to do with it.  A medium format camera in my hand, black and white film, I take these few shots that I know will be the last to freeze our memories. 

Here, about 15 rolls of film to develop. Among those, there is one that I have to develop since that infamous fool’s day that wasn’t really one. 

This film where the last moments of my grandfather’s life are captured. 

I’m afraid, I’m piling up, I’m stalling… it might be time to reveal these last moments in silver salts… 

A diffuser sans modération !